Interview de Serge Sur (*) au journal Le Monde.
|
|
En termes de droit international, que risque Israël suite à l'arraisonnement de la flottille ?
Serge Sur : Israël a commis un acte de violence en haute mer qui est indiscutablement contraire au droit international. Le gouvernement peut se justifier en invoquant l'état de légitime défense, mais il faut alors en apporter la preuve. Et pour que celle-ci soit valable, il faudrait une participation turque à l'enquête.
Une enquête internationale est donc légitime ?
Elle serait particulièrement justifiée pour deux raisons : d'une part, le gouvernement israélien accuse les membres de la flottille d'avoir eu des comportements agressifs et se réclame de l'état de légitime défense. Dans ces conditions, Israël doit donner à ceux qu'il accuse la possibilité de se défendre et de présenter leur argumentation.
D'autre part, les faits se sont déroulés dans les eaux internationales, il est donc impossible de dire qu'ils ne concernent qu'Israël. Le fait que l'agression ait eu lieu en haute mer est déterminant : la position juridique d'Israël serait beaucoup plus forte si les faits s'étaient déroulées dans ses eaux territoriales, car il serait plus facile alors de dire que les faits ne concernent qu'Israël et lui seul.
A ce titre, qu'elle est la différence entre la commission d'enquête nationale avec des observateurs étrangers, que veut mettre en place Israël, et une commission d'enquête internationale, telle que l'ont réclamée plusieurs pays ?
Dans le premier cas, le gouvernement israélien reste entièrement maître de la procédure, du format de l'enquête et des conclusions qu'il va en tirer, avec une relative transparence vis-à-vis des observateurs étrangers. Dans le cas d'une enquête internationale, un organisme indépendant est mis en place, à composition multinationale. Cet organe peut avoir un mandat international, de l'ONU par exemple.
Est-ce une option envisageable ?
Cela paraît improbable. D'abord, les Etats-Unis ne l'accepteront jamais, en raison du lien indéfectible qui les unit à Israël. Ensuite, à supposer même qu'une décision de principe soit prise, le gouvernement israélien n'accepterait pas de coopérer et l'enquête resterait formelle, sans possibilité d'interroger les personnes qui ont mené l'assaut. Donc, à mon avis, cette porte-là est close. Il pourrait y avoir une troisième formule qui serait une enquête internationale acceptée par Israël et se déroulant dans un cadre élargi. Il devrait à mon sens y figurer a minima des enquêteurs turcs, ou acceptés par le gouvernement turc, car les victimes sont turques. Mais à ce stade, la commission d'enquête nationale est la plus probable ; elle se fera sans doute à un rythme très lent.
Certains ont parlé de recours devant la Cour pénale internationale (CPI) : est-ce possible ?
Théoriquement oui, et ce même si Israël n'a pas ratifié le traité de Rome, car les victimes étaient des ressortissants de pays qui l'ont ratifié. Le droit international est très riche en options mais aucune d'elle n'est vraiment obligatoire : elles sont pesées en termes politiques.
L'Etat turc a réclamé des sanctions contre Israël. Celles-ci sont-elles prévues par le droit international ?
On parle plutôt de contre-mesure. Une sanction est prise à la suite d'une procédure quasi judiciaire, d'une faute établie. La contre-mesure relève d'une logique exécutive plus que judiciaire. Le régime des contre-mesures est assez large et se déploie généralement dans le champ économique. Le Conseil de sécurité a la possibilité de les décréter, comme il le fait par exemple pour l'Iran. Mais il est clair qu'il n'en fera rien pour les raisons mentionnées plus haut. La Turquie peut aussi imposer des contre-mesures et l'a déjà fait en rappelant son ambassadeur.
(*) Serge Sur est professeur en droit public à l'université Paris-II Panthéon-Assas, spécialiste du droit international public.