jeudi, avril 22, 2010

L'interdiction totale de la burqa, un risque juridique


L'option de l'interdiction totale de la burqa en France, choisie par Nicolas Sarkozy après des mois de tergiversations, est la plus risquée pour trancher ce dossier, estiment la gauche et des juristes.

Le Premier ministre, François Fillon, s'est dit prêt mercredi à prendre "des risques juridiques", allusion à l'avis du Conseil d'Etat pour qui le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pourraient rejeter ce texte.

Une partie de la droite, dont le chef de file des députés UMP, Jean-François Copé, s'était prononcée en faveur d'une loi interdisant le port du voile intégral.

"Il y a un moment où il faut trancher", a dit jeudi le porte-parole du gouvernement Luc Chatel, interrogé sur l'éventualité d'une censure par les Sages.

"Nous avons pensé que l'interdiction partielle avait autant d'inconvénients et sans doute plus de complexité, de difficultés, que l'interdiction totale", a-t-il dit sur Canal+.

"Ce n'est pas passer en force, à un moment le pouvoir politique doit prendre ses responsabilités", a ajouté Luc Chatel, rappelant que les socialistes avaient agité la même menace d'inconstitutionnalité lors du débat sur l'interdiction des signes religieux à l'école en 2004.

Pour le député socialiste Pierre Moscovici, les propos de François Fillon témoignent d'une volonté de "passage en force contre la Constitution".

"Quand on est le Premier ministre d'un pays, quand on est un homme d'Etat, on ne prend pas de risque avec la Constitution", a-t-il dit sur France Inter.

QUID DES TOURISTES SAOUDIENNES ?

Les socialistes, tout en se disant opposés au voile intégral, ont prévenu que la loi serait difficile à appliquer.

"On imagine mal les policiers courir dans les rues pour retirer le voile au femmes", a ironisé Jean-Christophe Cambadélis sur i>Télé.

Le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, a ironisé sur le risque de situations ubuesques pour un problème qui, selon le gouvernement, concerne 2.000 femmes. "Je ne sais pas comment on va faire avec les Saoudiennes qui viennent acheter sur les Champs-Élysées", a-t-il dit mercredi sur RMC.

Le gouvernement a choisi d'ignorer les recommandations du Conseil d'Etat, pour qui l'interdiction du voile intégral dans les lieux publics était préférable à l'interdiction totale, qui soulèverait de "sérieux risques" constitutionnels.

Les constitutionnalistes interrogés lors d'une audition en novembre devant la mission d'information de l'Assemblée nationale sur cette question sont partagés.

"Le conseil d'Etat n'a jamais dit que c'était ni contraire au droit constitutionnel ni contraire au droit européen, il a simplement dit que l'interdiction totale représentait plus de risques qu'une interdiction partielle", note Guy Carcassonne.

"Les risques en question, pour réels qu'ils peuvent être, n'apparaissent absolument pas considérables", a-t-il dit sur France Info.

"SYMBOLIQUEMENT FORTE MAIS JURIDIQUEMENT FRAGILE"

Le professeur de l'université de Nanterre expliquait devant la mission parlementaire que la loi ne passerait les obstacles juridiques qu'en étant fondée sur l'ordre et la sécurité publics.

Que son fondement soit la laïcité, la dignité de la personne humaine et les contraintes faites aux femmes, et son avenir s'assombrirait, disait-il.

Or, selon Luc Chatel, l'interdiction totale vise à montrer que la République ne transige pas avec "un principe de dignité de la femme".

Bertrand Mathieu, professeur à l'université Paris I, estimait devant la mission que l'interdiction générale serait "symboliquement forte mais juridiquement fragile".

Selon lui, la CEDH, dont la jurisprudence met en avant la liberté de conscience, et le Conseil constitutionnel, dont la position s'inspire généralement de la jurisprudence du Conseil d'Etat, s'y opposeraient.

Denys de Béchillon, de l'université de Pau, décrivait, lui, l'interdiction complète comme "le scénario maximal, celui qui fait problème sur le plan juridique".


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