mardi, novembre 14, 2006

L'avenir sombre de la recherche française

Je l'ai dit et je le redis: la recherche est la matière grise de notre pays. Faute de moyens et de structures adaptées, la recherche en France tourne au ralenti. Elle est sous neuroleptique.

Nos chercheurs sont disséminés dans le monde. D’ici quelques années, notre pays ne sera plus à la pointe du progrès.

Les revendications des chercheurs doivent être prises en compte. Elles sont justifiées.

Je vous rapporte le rapport de Didier Chatenay et Georges Debregeas (physiciens), Bertrand Monthubert (mathématicien) Alain Trautmann et Francis-André Wollman (biologistes) sur les difficultés de la recherche en France :

Nombre de nos concitoyens imaginaient que, les pouvoirs publics ayant été contraints de donner des réponses aux attentes des scientifiques, la recherche en France était relancée. Or, non seulement nous en sommes très loin, mais la situation est à nouveau particulièrement inquiétante.

Une déclaration récente de Catherine Bréchignac, présidente du CNRS dans une interview aux Echos (30 octobre 2006), a provoqué la stupéfaction des scientifiques, et pas seulement des biologistes directement visés par ses propos. : "Dans les sciences de la vie, je suis bien décidée à faire des choix. (…) Si on continue à faire croître le budget des sciences de la vie (…) tout le budget du CNRS ira a cette discipline (...) et ce serait une grave erreur. Avec tout l'argent que nous avons injecté dans les sciences de la vie, je trouve que le rapport qualité/prix n'est pas terrible. (…) Nous avons retenu deux priorités : les neurosciences et la biologie intégrative."

La dénonciation publique d’une discipline scientifique –la biologie- par un responsable d’organisme qui a pour charge de la développer, est peu acceptable. Elle l’est d’autant moins qu’elle se fonderait sur une évaluation des valeurs relatives des différents champs disciplinaires, qui ne répond pas aux critères normaux d'une évaluation (transparente, collégiale, contradictoire). De façon plus grave, elle annoncerait une évolution majeure du CNRS, en limitant le champ d’intervention du CNRS à quelques axes.

Rappelons que le CNRS a été historiquement un élément essentiel de structuration de la recherche française par son caractère national et pluridisciplinaire. Il reste à ce jour le seul organisme à visée purement fondamentale, indépendamment des retombées potentielles. Le CNRS a permis de favoriser l’émergence de thématiques nouvelles, qui de plus en plus supposent des interactions fortes entre disciplines. Enfin, le statut des personnels du CNRS offre des possibilités d'investissement dans des travaux de long terme, qui en font l’un des rares pôles d’attraction du système français comme en témoigne les grand nombre d'étrangers candidats au recrutement, malgré des conditions salariales peu favorables.

La déclaration de Catherine Bréchignac s’inscrit dans une logique, celle d’une évolution plus globale de la recherche française, dont le pacte pour la recherche a défini la nouvelle architecture, et dont le CNRS sera la première victime. Ce nouveau dispositif a pour cœur l'ANR (Agence Nationale de la recherche), qui a désormais le quasi-monopole du financement de toute nouvelle recherche en France. Les autres institutions de recherche, - organismes et universités - manquant de plus en plus de moyens d'action propres, sont contraintes pour survivre à se disputer la manne de l'ANR, en compétition avec une pléiade de nouvelles entités administratives (pôles de compétitivité, RTRA, Instituts Carnot, nouveaux Instituts spécialisés). Le gouvernement peut ainsi sans difficulté développer certains secteurs de recherche finalisée où il est aisé d’obtenir un financement, sans forte sélection, et étouffer d'autres secteurs plus fondamentaux où le taux de succès des demandes est dérisoire, quelle que soit la valeur des projets. Ce pilotage est le fait du prince, et comme tel, le cap changera avec l'humeur du prince. Nous l'avions annoncé, et ces aberrations ont débuté.

Une ANR ministérielle toute-puissante, des organismes de recherche étranglés : tout est en place pour justifier des choix irrationnels, comme celui de C. Bréchignac décidant brutalement de ce qui, en biologie, doit être sauvé (les neurosciences et la biologie intégrative) ou sacrifié (la génétique par exemple) pour pouvoir gérer la pénurie. Les organismes de recherche et les universités, dans une logique de sauve-qui-peut, vont se replier sur eux-mêmes au lieu de chercher à accroître leur coopération. Et tout cela en prétendant améliorer le système, en prétendant réussir l'impossible quadrature du cercle, qui consisterait à faire coïncider le temps court de l'action politique décidée par l’ANR ministérielle avec le temps long de la recherche conduite dans les organismes et les universités.

Depuis des années une partie de la droite réclame le démantèlement du CNRS, jugé trop gros et trop indépendant, donc ingouvernable, non pas par ses dirigeants, mais par le gouvernement. Confrontée à l'impossibilité de conduire une politique scientifique dans l'ensemble des secteurs de la recherche en raison de l'étranglement budgétaire que connaît le CNRS, C. Bréchignac fait des choix qui pourraient hâter ce démantèlement, qu'elle le veuille ou non. Dans le plan de démantèlement dont nous avons entendu parler, l’essentiel de la biologie passerait à l'INSERM, qui pourrait décider d'une biologie centrée sur des applications médicales prévisibles (indiscutablement nécessaires, mais sans que toute la biologie puisse s'y résumer, et surtout pas celle de demain et après-demain). Au prétexte de soutenir le développement durable et la biodiversité (objectif louable), le reste de la biologie passerait à l'INRA, là encore avec un accent déterminant mis sur les applications. Les sciences humaines iraient dans les 84 universités. A la place du CNRS, on aurait un Institut des sciences dures dévolu à l’entretien et au développement des "grands instruments". Il n'y aurait donc plus aucun organisme réellement pluridisciplinaire. Ce que nous dénonçons n'est pas l'aspect technique d'une telle restructuration, ce sont les motivations politiques qui y président. La mort programmée du CNRS empêcherait en particulier de mettre en cohérence, en tous cas pour la recherche de base, les moyens matériels (contrôlés par l'ANR) et les moyens humains (postes de chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs), sauf si c'est l'ANR qui les contrôle aussi, sous forme de CDDs généralisés. Sans doute cette précarisation (terme officiel : flexibilité) fait-elle aussi partie des objectifs politiques actuels.

Ce nouveau dispositif de recherche se met en place, masqué par un discours managérial prétendument moderne fondé sur une obsession du court terme, de possibilités d'applications prévisibles et de rentabilité économique, qui ne parvient pas à cacher ce qu'il signifie : une absence dramatique de vision et d'ambition pour notre pays, et la destruction d’un système qui malgré ses défauts, a été à l’origine de succès incontestables. Si, avant d'être dans le mur, on veut prendre une autre direction, il faut faire très vite. Nous appelons nos collègues scientifiques à ne pas tomber dans le piège de la division en cédant à la défense corporatiste de chaque discipline, mais à faire front ensemble contre ces orientations. A l’occasion de la campagne électorale qui s’ouvre, nous appelons les candidats aux élections présidentielle puis législatives à entendre cet appel angoissé. Nous les appelons à écouter ce que disent des scientifiques concernés non par la défense de leur petit domaine, mais par l'ensemble de la recherche et de l'enseignement supérieur qui sont déterminants pour une société souhaitant agir sur son avenir. Nous les appelons à prendre dès maintenant des engagements précis sur ces questions cruciales.

1 commentaire:

Ségolène Royal a dit…

J'ai ouvert mon blog pour la présidentielle de 2007 moi aussi. Venez le visiter et découvrez mes désirs d'avenir.